entretien de Michel Didym autour de la création du Malade Imaginaire

entretien de Michel Didym autour de la création du Malade Imaginaire

Publié le 13 avril 2015 dans Autour des spectacles

François Rodinson. Michel Didym, vous montez la saison prochaine Le Malade imaginaire. Vous êtes connu pour votre attachement à un théâtre qui met en avant les écritures contemporaines que vous défendez au CDN de Nancy et à La Mousson d’été depuis 20 ans maintenant à Pont-à-Mousson. Pourquoi, tout à coup, monter un classique et qui plus est un classique qui est un monument, Le Malade imaginaire de Molière ?
Michel Didym. Je me méfie du monument, dans le mot monument il y a quelque chose qui ment. Le passé ment ou en tout cas on peut le faire mentir. Dans cette œuvre-là, écrite par Molière à la fin de sa vie, il y a comme un accomplissement, l’aboutissement de toute sa dramaturgie. C’est sans conteste le chef-d’oeuvre absolu de Molière. Le Malade imaginaire, c’est tout Molière comme dans Hamlet il y a tout Shakespeare. Ramassé en une assez courte pièce en trois actes, il rassemble tous les motifs de toutes ses pièces, à commencer par le mariage forcé. Un père, Argan, force sa fille à un mariage qui sert davantage ses propres intérêts, ses lubies et ses fantasmes que ses intérêts à elle. C’est la quintessence de cette comédie bourgeoise qu’il a inventée avec cette profondeur métaphysique déjà à l’œuvre dans Dom Juan ; Argan est l’homme étonné d’être au monde. Il n’en revient toujours pas d’exister et de la façon dont le monde va. Il a tous les traits d’un bourgeois gentilhomme devenu malade. Mais c’est le monde qui est malade, ce malade imaginaire est un bourgeois malade de sa propre bourgeoisie.
Ma fréquentation de Montaigne au printemps dernier pour créer le spectacle Voyage en Italie m’a éclairé sur ce que Molière a emprunté à Montaigne, notamment les critiques de la médecine de son époque. En relisant cette machine merveilleuse qu’est Le Malade imaginaire, sa modernité m’a explosé à la figure. Il m’est apparu que le moment était venu pour moi d’oser me confronter à ce grand œuvre, compte tenu de la maturité que j’ai pu acquérir.
Je dois dire que certains éléments de ma propre vie ont également pu influer sur mon choix. Sans vouloir m’épancher sur mes tracas personnels, j’ai acquis également une sorte de lucidité dans mon rapport à la médecine et à la mort car il m’est arrivé d’étudier ça de près durant de longues heures à l’hôpital. J’ai alors conçu sur ce sujet un certain nombre de convictions qui, je l’espère, vont transparaître dans ma lecture du Malade imaginaire. Je compte maintenant régler son compte pas seulement à la médecine mais aussi à la maladie et à la mort (rire).
Argan est un homme qui brûle, c’est ça qui est intéressant. Il se consume au sens propre comme au sens figuré. Finalement, bien que très entouré, il est seul.

F.R. Y a-t-il encore quelque chose à dire sur une telle pièce du 17ème siècle ? Que voulez-vous dire, vous ?
M.D. Il ne faut pas dire « encore », il y a beaucoup de choses à dire sur cette pièce !
Le regard sarcastique face à l’incompétence des médecins est d’une grande modernité. Évidemment, il y a eu des progrès scientifiques mais les médecins sont toujours les mêmes. Ils ont juste remplacé la saignée par la chimiothérapie !
Chez Molière, cette incompétence est masquée par la fatuité du discours. Aujourd’hui encore, chez les médecins, il y a des incompétents qui exercent avec pourtant tous les diplômes ad hoc.

F.R. Comment voyez-vous cette mise en scène ? Est-ce une mise en scène « en costumes » ou transposez-vous la pièce dans une perspective contemporaine ?
M.D. Mon objectif n’est pas de sursignifier ma lecture par une mise en scène ostentatoire qui donnerait à imaginer que la radicalité de ma version pourrait compenser la faiblesse de l’œuvre. Un chef-d’œuvre absolu mérite tout le respect dû aux chefs-d’œuvre.
D’autre part, il y a une authenticité et une puissance des situations qui est indépassable. Ce qui m’intéresse c’est de donner des signes de modernité très précis avec une série d’anachronismes vestimentaires ou sociologico-médicaux qui vont donner aux spectateurs du grain à moudre dans leur sablier temporel.
Le Malade est une pièce qui a un ancrage profond dans son époque mais pourquoi son actualité nous touche ? Qu’est-ce qui nous sépare des Grecs et des Romains ? Quel est l’état de notre rapport à Dieu et à la mort ? Pour toutes ces questions, notre malade peut nous aider à réfléchir. Bon, c’est vrai, nous avons des smartphones. Mais dans le rapport à l’état, dans le rapport à la cité, au collectif, nous sommes les mêmes. C’est la même dialectique entre le succès public et l’échec privé, entre la profession de foi publique et la tricherie en privé. Notre rapport à la mort a soi disant changé. Mais quand il y a un décès et qu’on voit l’abondance de gens qui se réunissent dans un lieu de culte, je me demande si ça a tellement changé. La question que je me pose est la suivante : est-ce que la maladie ne serait pas provoquée par la société, est-ce que ce ne serait pas la conséquence logique d’une certaine corruption des idées face à la mort, face à la vie et à ses plaisirs ? La plus grande maladie, je trouve, c’est la maladie de l’âme et des idées.

F.R. La pièce est très rarement montée avec ses intermèdes musicaux. Quel est votre projet par rapport à ça ? Quel traitement réservez-vous à la musique ?
M.D. J’ai récemment changé d’avis à ce sujet. Je croyais que c’était une volonté de Molière de créer un espace métaphorique autour de la médecine. Il me paraît aujourd’hui qu’à l’évidence la musique de Lully a été imposée à Molière de manière dictatoriale. Beaucoup de ces ballets entourant la pièce étaient des œuvres de circonstances qui permettaient à Molière d’accéder à la Cour et, tout simplement, de subsister. Il faut savoir en tirer les conséquences. Je ne compte pas garder l’intégralité de ces intermèdes musicaux chorégraphiés qui sont pour moi comme une gangue dont il s’agit d’extraire le fruit. De temps en temps quelques débris de la gangue viendront nous rappeler l’existence de ces parties qui font « divertissement ». Je ferai appel pour cela à une création musicale on ne peut plus contemporaine.

F.R. Molière est mort en crachant du sang sur scène alors qu’il interprétait Le Malade, le corps harassé par les tournées et par la tuberculose. Qu’est-ce que cela vous inspire ? C’est le comble de l’engagement physique d’un homme au théâtre, non ? Vous sentez-vous proche de cet engagement, proche de l’homme Molière ?
M.D. Dans son film Molière, Ariane Mnouchkine donne des éléments saisissants là-dessus. Boulgakov, lui aussi, dans Le Roman de Monsieur de Molière dit des choses qui sont tout à fait plausibles sur l’investissement total d’un homme qui a tout sacrifié à son art, qui a donné sa santé, son temps et finalement sa vie. Mais en définitive, je crois qu’il est rattrapé par la vérité. Dans une époque qui se distingue par le triomphe de la fausseté, lui, il exige la vérité. C’est peut-être aussi en ce sens là qu’il est, aujourd’hui comme hier, très moderne. C’est un théâtre qui se révèle en présence du public et qui tire tout son sens au moment de la représentation.

Propos recueillis par François Rodinson, le 4 décembre 2013

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