L’Autre fille : interview de Cécile Backès

L’Autre fille : interview de Cécile Backès

Publié le 13 septembre 2017 dans Autour des spectacles

Mars 2017, propos recueillis par Manuel Piolat Soleymat pour La Comédie de Béthune

La directrice de la Comédie de Béthune revient sur les fondements de son parcours et de son univers de théâtre.

Est-ce qu’il existe une figure de théâtre qui a été déterminante dans la construction de votre parcours artistique ?

Plusieurs, mais si je ne devais en retenir qu’une, ce serait Antoine Vitez. J’ai participé, en 1983, aux tous premiers ateliers qu’il a mis en place, lorsqu’il est arrivé au Théâtre de Chaillot. J’avais à peine 18 ans… Puis, quelques années plus tard, j’ai été élève à l’Ecole de Chaillot proprement dite. C’est vraiment lui qui m’a initiée à la pensée sur le théâtre, qui m’a amenée à réfléchir à quoi pouvait servir le théâtre au sein de la société. Cela, bien sûr, à travers ses cours, mais aussi à travers la présence des acteurs et des actrices qui, autour de lui, formaient une famille. Il y avait Madeleine Marion, Jean-Marie Winling… Dans un de ses poèmes, Vitez dit que ce qui est important, c’est notre position sur la durée. Grâce à lui, j’ai compris que le théâtre était l’art de la dilatation du temps.

Votre désir de faire du théâtre remonte-t-il à l’enfance ?

Non, pas du tout. Même si je me souviens avoir été très intriguée, petite, par le théâtre de marionnettes du Jardin du Luxembourg. Un peu plus tard, à l’adolescence, j’ai beaucoup aimé aller à La Cartoucherie pour voir les spectacles d’Ariane Mnouchkine. Mais je n’avais pas de fascination pour le théâtre. Après avoir commencé des études littéraires, je me suis rendue compte que ce n’était pas ma route. C’est à ce moment-là que je me suis inscrite aux ateliers de Vitez à Chaillot. En fait, ma relation avec le théâtre est l’histoire d’un attachement progressif. Un attachement devenu extrêmement profond.

Quelle est la chose que vous a apportée le théâtre, qui vous manquait lorsque vous étudiiez les Lettres ?

Le corps. La représentation du corps et l’élaboration de tableaux visuels, musicaux. La création d’images et de sons. Malgré mon grand intérêt pour la littérature, il m’est très vite apparu que je ne me voyais pas passer le reste de ma vie uniquement dans des livres. Ma rencontre avec Vitez m’a permis d’envisager le théâtre comme un art non seulement du regard, mais aussi de l’écoute. Un art permettant de concrétiser mon intérêt pour les textes, pour la langue, à travers leur traduction corporelle sur un plateau.

Vos choix de pièces révèlent un goût prononcé pour les écritures contemporaines. Pourriez-vous caractériser la relation qui vous unit aux paroles et aux imaginaires de notre époque ?

J’ai toujours eu envie de donner à entendre des textes qui n’avaient jamais été portés à la scène. Ce goût pour les écritures contemporaines vient éclairer non seulement mon rapport à la langue, mais aussi mon rapport à l’histoire, à la période dans laquelle nous vivons. D’une certaine façon, pour moi, le théâtre doit être fondamentalement l’art du présent. J’aime que les spectacles puissent ouvrir des brèches — en partant du concret de la représentation et des paroles qui s’y expriment — pour aboutir à un sentiment d’éternité. Et puis, ce qui me passionne dans cette aventure liée aux écritures contemporaines, c’est de me dire que certains des textes que l’on contribue à faire découvrir aux spectateurs vont rester, vont s’imposer et marquer l’histoire du théâtre. Bien sûr, on ne sait pas lesquels…

Ce qui revient à passer de l’individuel au collectif…

Exactement. Pour moi, faire du théâtre, c’est toujours effectuer un geste d’ouverture. C’est donc, en effet, une façon de passer de l’individuel au collectif en donnant un corps à des mots, à une langue. En fabriquant des images à partir de figures qui ne sont pas encore incarnées. En donnant une voix aux textes, aussi… Vitez disait que le travail des acteurs et des metteurs en scène est de faire entendre la petite voix du poète. C’est une réflexion qui me semble très juste.

De quoi se compose, de façon essentielle, votre univers de théâtre ?

Tout d’abord du récit. Le théâtre est le lieu à travers lequel on entre dans un univers dialogué par le récit. Et puis, c’est aussi pour moi le lieu où se croisent différentes temporalités, ce qui revient à interroger les strates de la mémoire… On voyage en restant toujours physiquement dans le même lieu, mais on change de décor. Cette sorte d’illusion collective me passionne. Elle permet d’ouvrir un champ où des personnes très différentes se retrouvent dans un chemin de mémoires commun.

N’est-ce pas là une vision politique du théâtre ?

Sans doute. Le théâtre trace le cadre d’un temps à partager. Il s’agit d’un espace de rassemblement très fort. Je ne considère pas du tout cet espace comme un temple de la connaissance, mais plutôt comme l’endroit d’un questionnement collectif. Un questionnement qui, lorsqu’il est le plus juste, lorsqu’il est le plus pertinent, reste sans réponse.

Pour vous, le théâtre peut-il encore, aujourd’hui, changer le monde et la société ?

Absolument. Je crois que le spectateur peut vivre, lorsqu’il se rend au théâtre, la profondeur d’une « expérience esthétique » qui n’a pas vraiment d’équivalent. Cette expérience permet d’ouvrir le pouvoir de l’imaginaire. Et à partir du moment où l’imaginaire d’une personne est mis en mouvement, on peut se dire qu’une force en elle est libérée. Une force qui, en lui permettant de concevoir différemment sa propre vie, pourra peut-être contribuer à réinventer son rapport au monde et à la société.

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