les sonnets : l’équipe artistique parle du spectacle
Quand l’équipe artistique des Sonnets nous parle du spectacle…Entretien de Norah Krief (interprétation) et notes de Richard Brunel (mise en scène).
entretien avec Norah Krief
propos recueillis par La Comédie de Valence
Ta rencontre avec les Sonnets ?
En 1999, je jouais Henri IV de Shakespeare au Festival d’Avignon, un spectacle mis en scène par Yann-Joël Collin qui durait huit heures. J’y chantais déjà trois sonnets de Shakespeare : Honte à toi, Quand je vois chaque chose et Ce n’est pas des étoiles que vient ma raison. C’est Frédéric Fresson, que j’ai rencontré sur ce spectacle qui en a composé la musique. J’avais envie de chanter depuis longtemps. J’avais le désir de m’adresser aux gens, j’étais à un moment de mon parcours où j’avais envie d’être en confrontation directe avec le public, d’être vraiment dans un dialogue avec eux. Être dans ce rapport là m’a beaucoup fait évoluer quand j’ai travaillé au théâtre par la suite.
Pourquoi y revenir aujourd’hui ?
Parce que j’ai la possibilité de poursuivre ce travail grâce à La Comédie de Valence. Je fais partie du collectif artistique et je voulais revenir sur ces sonnets qui sont essentiels. Ils racontent toute la vie de l’homme qu’était Shakespeare. Ils nous parlent profondément. Son propos sur le temps qui passe, l’âge, la vieillesse, est extrêmement universel, mais aussi sur l’art, l’écriture, l’auteur lui-même qu’était William Shakespeare, sur sa vie intime, bouleversante parce qu’elle n’était pas satisfaisante. Shakespeare est très lucide et cynique sur le monde. Ainsi dans Fatigué, un des sonnets les plus politiques, il dénonce toutes les injustices qu’il peut y avoir, même sociales, personnelles ou affectives : « Lassé de voir qu’un homme intègre doit mendier qu’on s’amuse à cracher sur la sincérité ».
En quelques mots, peux-tu nous raconter ces Sonnets ?
Le recueil, à l’instar de la vie du dramaturge peut se diviser en trois parties : tout d’abord la rencontre avec un homme. Shakespeare est éperdument amoureux, il lui dit qu’il est la seule personne importante pour lui sur cette terre, qu’il mourrait s’il n’était pas là, qu’il est unique.
Il parle de son amour, de sa passion pour lui. Dans la deuxième partie, apparaît une femme. Il y a une sorte de jalousie. C’est une histoire d’amour déchirante et impossible. L’interlocuteur ne répond pas à ses désirs. Puis, Shakespeare vieillit, on le voit vieillir, on le perçoit dans ses textes. C’est un amour qui ne s’accomplit pas d’où la nécessité, en fait, d’écrire. Dans la troisième partie, dans un dernier sonnet, Shakespeare lâche prise. Il a accepté de perdre et abandonne sa quête, son amour.
Chanter, est-ce différent de jouer ?
Ce n’est pas la même chose. En chantant, je ne suis pas nécessairement dans l’énergie du jeu de comédienne : il y a un tempo, il faut s’exprimer au rythme de la musique écrite par Frédéric Fresson. Ce rythme-là, imposé, je l’intègre dans mon corps et c’est cela qui rend la chose encore plus merveilleuse. Si je le jouais seulement, je choisirais un autre tempo, je changerais d’intentions alors que là, sur une musique, c’est l’histoire qui avance. Je suis portée par la musique et je porte l’histoire.
Quels axes travaillez-vous pour cette création ?
En 1999, Frédéric Fresson, le compositeur des Sonnets, avait monté un trio de musiciens plutôt rock and roll. Aujourd’hui, avec la complicité de Richard Brunel et de Myriam Djemour, nous avons fait évoluer la musique pour cette nouvelle version. Elle est devenue plus sobre, il y a moins d’effets sonores. Ils m’ont incitée à recentrer l’ensemble sur le texte, la voix et la musique. La théâtralité du plateau est plus affirmée ; il y a un espace. Richard Brunel a proposé quelque chose d’assez simple, quelques rideaux, quelques tapis, et un signe qui raconte la coulisse, la loge, cet endroit où l’interprète se prépare comme un sportif et se rend disponible à l’instant, à ce qui va se produire, aux émotions, aux autres… C’est comme si j’avais donné à Richard Brunel un petit livret, et il m’a accompagnée pour rendre intelligible le texte, pour que le sonnet soit actif, la parole au présent, très adressée, avec raffinement, espièglerie, sarcasme, raillerie et trivialité.
Créer un écrin spatial, lumineux et donner à entendre Shakespeare
Notes de Richard Brunel
Ressentir le poète
Norah m’a demandé d’être intransigeant. J’ai le souci de l’intelligibilité du texte, de la perception de l’émotion. Travailler à ce que l’émotion puisse nous parvenir, dans la langue et la musicalité. Nous sommes tous ici au service de Shakespeare, au service de sa pensée. Norah a dans son histoire d’actrice un lien fort avec Shakespeare : elle a joué Cordélia, la fille du Roi Lear et le fou, rôles bicéphales, connexes, complémentaires et duels. Un jeu de va-et-vient opère entre la femme et le fou. Chez Norah, on trouve cette féminité très exprimée et elle a un goût pour l’espièglerie, la lucidité, je dirais même l’immédiateté et la franchise du fou. C’est une actrice qui dit ce qu’elle voit, ce qu’elle ressent. C’est très agréable dans le travail. C’est direct. Cela permet l’intensité de l’instant.
L’instant, le présent, la relation aux spectateurs, nous sommes en train de travailler sur cela. Faire une place à celui qui regarde, à celui qui écoute.
Créer un spectacle musical…
À l’opéra, il y a une histoire, une partition, une dramaturgie qui est faite sur le livret. Dans Les Sonnets de Shakespeare, la dramaturgie est basée sur un agencement de poèmes. Le travail dramaturgique est fragmenté, par petites touches comme chez les impressionnistes.
De même, le travail musical est bien différent de la création à l’opéra. Plus artisanal. Au cours des répétitions des Sonnets, la musique est mise en jeu, la durée allongée ou raccourcie : les musiciens sont très réactifs à l’écriture temporelle au plateau. Le compositeur est avec nous sur le plateau, nous pouvons nous dire directement si tel passage nous touche, si telle variation nous interpelle. Des nouveautés musicales émergent au cours du travail. Nous travaillons essentiellement sur les arrangements et ses ajustements avec le rôle de Norah. Les grandes lignes mélodiques sont écrites, mais, par exemple, pour cette recréation il a été décidé d’enlever l’électronique. Philippe Thibault, le bassiste, a une très jolie voix, nous avons décidé de favoriser un dialogue entre sa voix et celle de Norah.
J’ai souhaité que Myriam Djemour fasse du coaching vocal. Cela est extrêmement déterminant pour l’évolution, la maturité du projet. Cela permettra à Norah de passer un stade, d’aller chercher sur le plan théâtral une vocalité, une musicalité qu’elle n’avait pas encore atteint. Grâce à ce travail, Norah prend conscience des risques qu’elle peut prendre et elle est beaucoup plus en confiance quand elle s’aventure dans des registres qu’elle n’aurait pas osés explorer.