Plantons le décor : un parc à la tombée de la nuit, Roi, Reine, Prince, Chambellan, courtisans, bref, la Cour, en promenade digestive, tuant le temps avant de s’attabler pour une partie de bridge. C’est une soirée propice aux projets audacieux, aux entreprises d’envergure et, comme le prédit l’horoscope du jour, « aux intrigues amoureuses ». Alors que chacun y va de sa petite phrase sur le splendide coucher de soleil, voilà qu’on aperçoit une tout aussi splendide jeune fille. En fait non pas du tout, elle est tout bonnement hideuse, c’est Yvonne, Princesse de Bourgogne.
Sauf que le Prince, parce qu’il est joueur et entêté, s’entiche de cette dondon pâlichonne qui manque singulièrement de sex-appeal. Le mariage est un scandale : il n’y a pas d’autre mot, Yvonne est « moche ». On la traite de « guenon », on l’appelle « La Créature », c’est dire.
Mais le plus effarant c’est que sa présence défait tout : exit les conventions sociales, exit la bienséance. Tout fout le camp : élégance, raffinement, good manners et tout le tintouin.
C’est panique à la Cour et tout ça va finir comme dans Hamlet avec un banquet, des meurtres même si l’arme du crime ne sera pas une coupe empoisonnée mais une portion de perche à la crème, ces poissons dégoulinants aux trop nombreuses arêtes… C’est un meurtre grotesque : Yvonne s’étrangle. Rideau.
En habitué des grandes fresques théâtrales, Jacques Vincey s’empare de cette pochade qui se révèle en fait une bouffonnerie à double fond. Dans l’ombre de la princesse Yvonne pointe la bedaine du Père Ubu. Derrière la provocation, Gombrowicz s’engage en un plaidoyer en faveur de la bêtise. Avec cette pièce il célèbre le différent, l’enfantin, l’inachevé.
Gombrowicz se dresse contre la sagesse, contre la philosophie qui ossifie, contre une pensée qui ne respire pas. Il nous invite à regarder le monde par un tout autre point de vue et souvent, il n’y a rien de mieux à faire. « La réalité de l’homme, nous dit-il, ce n’est pas seulement ce qu’il y a de normal et de sain, mais aussi tout ce qui en lui est anormal et maladif, et qui ouvre des possibilités inconnues. »
- De
- Witold Gombrowicz
- Mise en scène
- Jacques Vincey
- Traduction
- Constantin Jelenski, Geneviève Serreau (éd. Gallimard)
- Avec
- Hélène Alexandridis, Miglé Bereikaité, Clément Bertonneau, Alain Fromager, Thomas Gonzalez, Delphine Meilland, Blaise Pettebone, Nelly Pulicani, Marie Rémond, Brice Trinel, Jacques Verzier
En bref...
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