La forêt s’ouvre, obscure et dense. On découvre une femme dans une lumière quasi irréelle. C’est un conte. À peine a-t-on eu le temps de se rassurer, de se dire qu’un conte c’est familier, qu’elle ouvre la bouche, et d’un coup on est saisi : un mouvement est en marche.
Catherine Hiegel, car il s’agit d’elle, est « Une femme ». Elle cherche la compagnie de voix amies, aspire à la quiétude et à l’apaisement. Ce long parcours est une traversée immobile, rythmée seulement par la chute sur le plateau de grands arbres sombres. C’est une nuit peuplée de visions, de gestes de tendresse esquissés, d’actes de violence aussi. Comme si Elisabeth courant après un « dernier accord » convoquait in extremis tous ceux qu’elle aura tenté d’aimer.
Il y a dans Une femme un onirisme qui dissimule un réalisme saisissant. Assistant au spectacle on peine à retenir un « C’est tellement juste ! » prononcé à mi-voix dans la pénombre de la salle.
Le tout est sans faille, tendu jusqu’à la sortie finale de la Femme et rythmé par des sursauts de vie et des chansons désopilantes. C’est un carnaval : il faut voir Helena Noguerra emperruquée jouant l’aristocrate italienne puis enfilant un vieux jeans et un sweat à capuche pour tancer sa mère. On se prête aux déguisements, on joue les hystéries, on libère ces paroles trop longtemps retenues. On ne s’interdit rien et cette liberté nous rend forts. Suffisamment forts pour retourner dans la vie et affronter nos terreurs au quotidien.
Sa grande affaire à Philippe Minyana, c’est comment parlent les vivants : comment on s’apostrophe, comment on s’attrape, comment on s’indigne. Et dans Une femme, il est question de cela, d’Elisabeth et des siens, de ceux qu’elle aime et de ceux dont elle aimerait enfin pouvoir se séparer.
On dirait de Minyana qu’il a su relier les grandes tentatives du théâtre contemporain. Le chemin qu’il trace est sans équivalent, son geste sûr. Inégalé aussi son acharne- ment à circonscrire notre présent, à s’emparer du mot juste enfin, à saisir le bruit du monde.
- De
- Philippe Minyana (l’Arche éditeur)
- Mise en scène
- Marcial Di Fonzo Bo
- Avec
- Marc Bertin, Catherine Ferran, Catherine Hiegel, Helena Noguerra, Laurent Poitrenaux
- Scénographie et lumières
- Yves Bernard
En bref...
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