Alice Birch : «Être traitée de féministe de canapé me rend furieuse»

Alice Birch : «Être traitée de féministe de canapé me rend furieuse»

Publié le 29 janvier 2016 dans Autour des spectacles

Cet article a été écrit par Andrew Dickson  dans The Guardian le 22 janvier 2015. Nous avons essayé de traduire au mieux ce texte qui présente le travail et la personnalité d’Alice Birch, auteure de Revolt. She said. Revolt again.

 

« Je trouve que parler est un acte vraiment difficile » nous dit Alice Birch très sérieusement. « Particulièrement parler de mon travail. C’est… » –  elle pointe l’enregistreur, mon bloc-notes –  « C’est…très inhabituel. »

Je peux comprendre ce qu’elle veut dire. Mes questions sont suivies de pauses irrégulières et d’hésitations silencieuses. Elle caresse son pull, regarde par la fenêtre, s’efforçant de trouver les bons mots. Ce n’est pas qu’Alice Birch n’aime pas parler, au contraire. Elle pétille d’idées et s’enthousiasme sur tout, de l’influence de Sarah Kane aux dernières tendances de la mode masculine de certains quartiers londonniens. Je sens juste que parler de son travail est une forme de torture.

Elle pourrait avoir à s’y habituer : 2015 ressemble à une année chargée. Hier l’une de ses pièces était annoncée dans la première saison de Rufus Norris au National Theatre. Dans quelques semaines, un autre de ses écrits, Little Light, sera joué sur le plateau du petit mais influent Orange Tree Theatre de l’ouest londonnien.

Autant Alice Birch est de nature discrète – sa voix si calme que parfois je pouvais difficilement l’entendre sur la cassette – autant ses pièces sont tonitruantes. Elle a commencé sur scène à 24 ans avec Many Moons, qui explore le thème perturbant et intime de l’abus d’enfants dans un arrondissement bohème du nord de Londres. Elle enchaîne avec Astronauts, co-écrit avec un groupe de jeunes de 16 à 19 ans, attaquant avec la même délectation la « bedroom tax » (note de la Comédie : http://www.la-croix.com/Actualite/Monde/La-bedroom-tax-bouleverse-le-logement-social-au-Royaume-Uni-2013-05-13-959345) ou la pontification de Boris Johnson (ndlC : maire conservateur de Londres qui a découvert via une émission de télévision qu’il était parent de la Reine Elizabeth II).

Mais pour beaucoup de personnes — au moins ceux qui se pressent au théâtre The Other Place de la Royal Shakespeare Company et au Studio de la Royal Court de Londres — Alice Birch explose l’été dernier avec Revolt. She said. Revolt again. En réponse à l’affirmation de l’historienne américaine Lauerl Thatcher Ulrich selon laquelle  » les femmes bien élevées marquent rarement l’histoire », la pièce était kaléidoscopique, indisciplinée, brûlante, vertement drôle — une attaque aux fusils sur tout : de la proposition de mariage (« En Substance tu as dit que tu voulais réduire tes impôts sur le revenu. » soupire un personnage féminin) au phrases misogynes du « sexting ». L’auteur Mark Ravenhill a déclaré que Revolt était une référence et la pièce a été co-lauréate du prix George Devine, où on retrouve parmi les anciens lauréats Mike Leigh, Hanif Kureishi et Lucy Prebble.

Les moyens de Alice Birch ont beau être modeste, mais ses idées sont grandes. Quel a été son déclencheur ? « Hum, beaucoup de choses, je pense. Avec Revolt, je savais que je voulais dire quelque-chose d’assez bruyant et aussi j’en avais marre. Je lisais beaucoup de trucs qui me mettaient en colère. Mais quand tu commences à parler d’une pièce en colère sur le féminisme, les gens sont mal à l’aise (…) il y a parfois une façon de dire les choses aux gens pour les concerner. Mais je ne souhaite pas discuter du fait de conserver ou non le terme « féminisme ».

Une des choses saisissantes sur Revolt est que c’est une pièce sur le langage avant tout : comment les mots des hommes et des femmes façonnent leurs relations et la société en générale. Tous ces coups de poings satiriques forment une espèce de manifeste sur la manière de traiter chacun d’entre nous plus gentiment et équitablement. Elle a l’aire pensive. « Selon moi, tout part du langage — ce sont les outils. C’est un peu vieux jeux. Je prends ça très au sérieux. »

Alice Birch ne veut pas en dire trop sur le nouveau spectacle du National Theatre qu’elle affine cette semaine en répétition mais elle laisse entendre que la pièce serait proche de l’esprit de Revolt. Créée en collaboration avec le collectif de danse-théâtre anarchique RashDash et titrée We Want You to Watch, elle décrira le voyage de deux femmes dans l’industrie du porno et leur tentative d’annihilation.

« Elles veulent en finir avec le porno. Nous explorons encore le sujet, et nous travaillons aussi une scène où elles parlent à une jeune fille qui est une « méga-hacker ». Elles veulent abattre Internet. Ça finira dans un monde bizarre, assez punk. Sérieux et radical, mais aussi ridicule et marrant. »

En finir entièrement avec la pornographie ? « C’est un peu surréaliste, on pousse les situations à l’extrême. Le porno est une question tellement monstrueuse que les gens vous accusent parfois d’être conservateurs ou anti-sexe si tu es contre ça. Nous sommes facilement pro-sexe. Mais l’humour est une arme brillante. »

Après les feux d’artifices expérimentaux que sont Revolt et We Want You to Watch, sa prochaine pièce pour le théâtre Orange Tree, Little Light, fait l’effet d’une surprise. Toujours aussi critique, ici c’est la mise en situation qui est étonnante : la pièce met en scène deux sœurs se retrouvant autour d’un repas (l’une d’elles semble sur le point de commettre un acte horrible avec un couteau) cette scène se termine par la révélation d’un secret amer ressurgit du passé.

Little Light est en fait sa première vraie pièce « longue », Alice Birch explique : écrit juste après son parcours universitaire, elle fait écho à sa propre vie « Bien sûre c’est une fiction, mais je voulais écrire sur des sœurs – cette relation peut être très compliquée. C’est une exploration du chagrin et de la famille; quand les membres d’une famille se réunissent et parlent de leurs histoires passées, il y a un sentiment très particulier qui se dégage. »

J’ai cru comprendre qu’Alice et sa sœur ont grandi dans une commune qui s’appelle Birchwood Hall. « Mes parents n’étaient pas mariés, ils nous ont donc appelé Birch toutes les deux. » Elle sourit. « Je pense toujours que c’est la chose la plus intéressante à mon propos. Mais nous y sommes seulement restés jusqu’à mes 5 ans. »

Les idées politiques de sa famille l’ont elle influencé ? « Je me souviens de mon beau-père m’appelant « féministe de canapé » quand j’avais 14 ans, ce qui me rendais furieuse. Il avait probablement raison. Depuis je tente de m’éloigner du canapé. »

Le panier d’Alice Birch est plein de projets, y compris une commande de la Royal Court, une pièce pour enfant sur la troupe Pentabus et un travail pour Clean Break spécialisé dans le théâtre relatif aux femmes et aux crimes, et un scénario en développement pour le programme iFetaures, une adaptation de la nouvelle Lady Macbeth du district de Mtsensk de Nikolaï Leskov. Elle est déterminée à ne pas devenir cataloguée, mais elle ressent actuellement le besoin urgent d’écrire pour des artistes féminines: « J’aimerais écrire sur la virilité, mais pour le moment, j’ai d’autres priorités. » 

Il est frappant de constater — après une période où le National Theatre était accusé de ne pas promouvoir assez le travail des auteurs féminins — que la nouvelle saison du National Theatre proposera plusieurs pièces écrites par des femmes : deux textes de Caryl Churchill, une adaptation de la pièce médiévale Everyman par Carol Ann Duffy, Our Country’s Good par Timberlake Wertenbaker.  » Ça semble être une saison enthousiasmante, et c’est bien de voir autant de femme ici. » Elle rigole. « Nous sommes tous humains. Ça ne devrait pas être considéré comme radical. »

À la fin de l’interview, elle enlève enfin son pull. Je découvre soudainement qu’elle est enceinte. Ce sera donc véritablement une belle année. C’est attendu pour quand ? « Dans peu de temps, le 8 mars. » Elle rie. « Lors de la Journée Internationale de la Femme. »

 

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