Quelques questions à la Cie L’Impatiente

Quelques questions à la Cie L’Impatiente

Publié le 21 février 2024 dans À PROPOS , #3

Théo Borne & Antoine Domingos

Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?

Nous nous sommes rencontrés au Conservatoire de Roubaix, sous la direction de Jean-Louis Bertsch. Très vite, une amitié et une complicité artistique se sont créées.

Antoine porte un premier projet de mise en scène et d’écriture au Conservatoire : Maud, parce qu’il est préférable d’y croire dans lequel Théo joue le rôle principal. Pierre Foviau assiste à la représentation et nous propose de poursuivre le travail au sein de son théâtre, le Zeppelin. Cette toute première création pose les fondements de ce qui deviendra quelques années plus tard la Compagnie L’impatiente. Tout y était déjà. Le fantôme, le découpage temporel, la recherche inexorable d’intensité.

Tout commence pour nous autour de deux projets de créations. Toujours avec le soutien précieux du Zeppelin, nous créons d’abord CRAMÉ en 2019, un huis-clos familial et sous les cendres que nous avons eu l’opportunité de jouer au Festival OFF d’Avignon, à La Factory, en 2021. Théo Borne, alors accompagné par le Grand-Bleu dans le cadre d’un « Pas à pas » (dispositif DRAC), propose une nouvelle recherche autour du texte d’Antoine Domingos Au-dessus de vos têtes, l’histoire d’un groupe d’adolescents défiant la mort sur le toit des trains, celle-ci deviendra la deuxième création de L’impatiente et définira les bases de notre recherche théâtrale: une écriture brute et poétique, une esthétique épurée et cinématographique.

En 2020, la compagnie imagine pour les “Plaines d’été” de la DRAC, une série théâtrale itinérante de 4 épisodes appelée « Bagnoles », à destination d’un ou deux spectateurs positionnés à l’arrière d’une voiture. 4 courts-métrages sont aussi réalisés à partir de ce spectacle.

En 2022-2023, c’est le temps de la recherche avec la compagnie de danse Les Sapharides autour de la thématique de la pornographie. Le projet de recherche s’appelle “1,2 millions d’années”, il est soutenu par l’Escapade d’Hénin-Beaumont et la DRAC. Arrivés à une forme de maturité dans notre parcours, nous souhaitions ébranler nos réflexes et interroger nos méthodes.

Depuis juillet 2022, la compagnie se consacre à sa dernière création : La nuit se traîne qui a été présentée au Zeppelin en janvier 2024.  

Quelle est votre actualité ?

Nous venons juste de présenter notre nouveau spectacle, La nuit se traîne qui raconte l’histoire d’Elsa traversant la ville, à moto, à la recherche de son frère disparu. Le frère c’est Axel, voyou imprévisible tombé amoureux quelques mois plus tôt d’un jeune député à la carrière prometteuse. Alors que le récit avance, la jeune femme va être confrontée à son enfance. En posant la question de la répétition de la violence, La nuit se traîne arpente de manière kaléidoscopique le récit d’un frère et d’une sœur que rien ne peut séparer.

Nous sommes très heureux de ce spectacle, porté par 6 interprètes dont deux adolescentes : Théo Borne, Maëlys Claerebout, Sarah Leseur, Margot Pouget, Clément Soyeux, Jacob Vouters. Les premières représentations au Zeppelin, ont donné lieu à une excellente réception du public et des professionnels présents.

Nous avons le sentiment que cette pièce marque un tournant, ou plutôt une forme d’aboutissement d’un travail sur le récit mené depuis 3 créations.

Nous jouons le spectacle le 22 février 2024 à L’Oiseau-Mouche de Roubaix.

Quels ont été les leviers, les moments clés qui vont ont permis d’arriver là où vous en êtes aujourd’hui ?

L’Impatiente existe maintenant depuis cinq années, nous avons voulu garder le lien artistique qui nous unit, qui fait l’identité de l’Impatiente. Porter des projets en cohérence avec nos désirs du moment, avec ce qui nous paraît essentiel de raconter. Ainsi, chaque création s’inscrit comme une étape importante de notre parcours, comme un moyen d’inscrire un univers, de faire entendre une langue.

Autour des projets s’est constituée une forme de troupe, un bouillonnement d’artistes provoquant l’énergie nécessaire pour aller au bout de chaque proposition. Des camarades rencontrés à Roubaix comme Livia Dufoix, ou au Conservatoire de Lille comme Clément Soyeux, Sarah Leseur, Agnès Robert ou Fanny Gosset, tout en allant à la rencontre d’autres artistes comme Jacob Vouters ou Baptiste Legros.

La présence du Zeppelin, soutien de la première heure et jusqu’à aujourd’hui nous a permis d’avoir un espace de travail et d’émancipation primordial pour notre évolution. Il y a aussi le soutien du Grand Bleu qui a été essentiel dans la conception du spectacle Au-dessus de vos têtes, de la résidence de recherche à la coproduction et la diffusion. Nous pouvons aussi noter que notre participation au Festival Off d’Avignon avec l’aide de la Région Hauts-de-France a contribué au développement de la compagnie et à son rayonnement. Sur nos créations, nous avons reçu un soutien des institutions publiques (Ville de Lille, DRAC, Région).

Quel regard portez-vous sur la situation actuelle du théâtre en France, notamment par rapport à l’émergence ? Est-elle favorable au développement des parcours de jeunes artistes ?

Alors que les dispositifs liés à l’émergence se multiplient, symbole d’un souhait de dénicher les artistes de demain, d’accompagner l’éclosion de nouveaux regards, nous avons le sentiment paradoxal qu’il est de plus en plus difficile d’émerger de manière pérenne et singulière. Il nous semble aussi qu’institutionnaliser à outrance l’émergence peut être un risque, celui de faire naître des compagnies qui se construisent en réponse aux dispositifs, inscrivant leurs esthétiques dans des lignes budgétaires avant même d’avoir développé une identité propre. L’enjeu est d’offrir des espaces d’expression et des moyens de créations sans imposer un modèle ou des étapes obligatoires. 

Notre sentiment est que l’étau se resserre, les baisses budgétaires contraignent les programmateurs à prendre moins de risques et les compagnies à proposer des formes restreintes. C’est la stratégie avant le rêve, la culture avant les artistes.

Pour répondre à la question, non, la situation actuelle du théâtre en France n’est pas favorable au développement des parcours de jeunes artistes. Mais elle ne l’est pas plus pour les compagnies installées. C’est la question même de la place de l’artiste dans la cité qui est en question, quand le contexte actuel nous pousse plus vers une utilisation de la culture qu’une valorisation de l’art au quotidien.

Si vous en aviez la possibilité, quelle mesure ou initiative permettrait d’améliorer l’accompagnement de l’émergence ?

Comme nous le disons plus haut, les dispositifs existent. Nous en avons d’ailleurs bénéficié et cela nous a permis d’exister et de créer. La difficulté, c’est le vide qui peut se faire ressentir une fois les premiers soutiens terminés. Selon nous, il faut davantage penser ces dispositifs sur deux ou trois saisons, sur la base d’une rencontre réciproque, avec une confiance des structures accueillantes. Trop souvent l’accompagnement des émergents s’arrête avant émergence.

La mise en place d’espaces de recherches et d’expérimentations serait aussi un bon levier. Les jeunes artistes ont besoin de s’accomplir en esquissant, en cherchant, en interrogeant leur pratique, sur des temps n’incluant pas la pression des enjeux de production.

Favoriser la mise en place de festivals de l’émergence régionale pour permettre une meilleure visibilité sur la jeune création. La diffusion étant l’une des problématiques majeures rencontrée par les compagnies.  

Nous pensons aussi que le partage avec des compagnies plus expérimentées peut servir. Nous remarquons une démarcation de plus en plus évidente entre jeunes et moins jeunes compagnies. Par exemple : Les compagnies entamant leur premier Avignon pourraient être « parrainées » par des compagnies ayant pratiqué l’exercice plusieurs fois.

Peut-être que nous avons tous besoin de plus de spontanéité, d’une marge d’inventivité plus grande. D’un rapport plus direct, de possibilités plus vastes. 

Il y a l’envie et le bonheur de créer. Il y a l’énergie qu’on y laisse, et notre jeunesse permet cela.  Mais jusqu’à quand ?

https://www.cie-limpatiente.fr/

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